Veuillez lire l’article d’origine de Polynésie la 1ère avant de poursuivre la lecture ici car il sert de base dans notre analyse.
L’inflation représente l’un des indicateurs économiques les plus présents dans notre quotidien, mais aussi l’un des plus controversés. À la fois technique et profondément politique, ce chiffre qui paraît si objectif cache en réalité un ensemble complexe de choix méthodologiques, de pondérations et de cadres temporels qui déterminent fondamentalement la perception publique de la santé économique d’un territoire.
L’article que nous allons analyser propose une perspective critique sur la construction et la communication du taux d’inflation dans un contexte insulaire, en l’occurrence la Polynésie française. À travers cette déconstruction méticuleuse, nous explorons les mécanismes par lesquels un taux officiel de 1,6% peut coexister avec des augmentations sectorielles atteignant 13%, et les implications sociales, économiques et politiques de ces écarts.
Cette analyse ne se contente pas d’exposer les potentielles manipulations statistiques, mais interroge également les structures de pouvoir sous-jacentes, les biais méthodologiques et les conséquences concrètes pour les différentes strates de la population. Au-delà du cas spécifique présenté, cette réflexion nous invite à développer un regard plus critique sur les indicateurs économiques qui façonnent les politiques publiques et notre perception collective de la réalité économique.
Que vous soyez économiste, étudiant, décideur public ou simple citoyen, comprendre les ressorts de la construction des chiffres de l’inflation constitue un préalable essentiel à toute discussion informée sur le pouvoir d’achat, les inégalités et la justice économique.
1. La stratégie du cheval de Troie : admettre 13 % pour faire passer 1,6 %
Ne vous y trompez pas : afficher des hausses de 13% sur les produits de la mer et de 8,5% sur les produits sucrés tout en proclamant une inflation globale de 1,6% n’est pas une maladresse statistique – c’est une stratégie délibérée de manipulation psychologique. Cette technique, que les spécialistes en désinformation appellent « l’aveu contrôlé », consiste à admettre volontairement quelques vérités choquantes pour mieux faire avaler un mensonge plus grand.
L’astuce est diaboliquement efficace : en reconnaissant ouvertement des augmentations spectaculaires sur certains produits, les statisticiens se donnent une apparence de transparence et d’honnêteté. « Regardez, nous ne cachons rien, nous admettons même que le poisson a augmenté de 13% ! » Cette franchise sélective crée un bouclier psychologique contre les accusations de manipulation. Si quelqu’un conteste le 1,6%, on pourra toujours répondre: « Mais nous n’avons rien caché ! Nous avons même mentionné les 13% d’augmentation sur le poisson ! »
Ce qui se joue ici est un tour de passe-passe cognitif d’une redoutable efficacité : les chiffres élevés admis (13%, 8,5%) servent d’ancrage émotionnel qui rend le 1,6% techniquement crédible. Sans ces aveux partiels, personne ne croirait au 1,6% face à l’expérience quotidienne des prix qui explosent. Mais en admettant quelques hausses spectaculaires, on crée l’illusion que le calcul global est rigoureux et honnête.
Regardez attentivement cette technique de manipulation : ils ne se contentent pas d’annoncer le chiffre officiel de 1,6%, ils mettent volontairement en avant quelques hausses spectaculaires ! Cette stratégie est similaire à celle utilisée par les services de renseignement qui, pour maintenir leur crédibilité, déclassifient volontairement certains documents sensationnels tout en gardant l’essentiel secret.
L’objectif n’est pas d’informer mais de contrôler la narration. En admettant ces hausses spectaculaires sur certains produits, on crée l’impression que le problème est limité à quelques secteurs spécifiques et que la situation globale reste sous contrôle. C’est exactement comme un magicien qui attire délibérément votre attention sur sa main gauche pour que vous ne remarquiez pas ce que fait sa main droite.
Cette stratégie est d’autant plus retorse qu’elle exploite notre biais cognitif de « disponibilité heuristique » – notre tendance à considérer comme plus crédibles les informations qui nous sont présentées explicitement. En mettant en avant les 13% d’augmentation sur le poisson, on crée l’illusion que toutes les autres augmentations sont transparentes et honnêtement comptabilisées dans la moyenne de 1,6%. C’est comme si un élève qui a triché à un examen admettait spontanément avoir copié une réponse pour détourner l’attention des dix autres qu’il a également volées.
En réalité, l’inflation n’est pas un phénomène homogène, c’est une expérience profondément inégalitaire. Une hausse de 13% sur le poisson est une gêne mineure pour un cadre supérieur, mais représente une catastrophe économique pour une famille modeste qui dépend de cette source de protéines. L’indice moyen masque cette violence économique différenciée et permet d’éviter les questions dérangeantes sur qui souffre réellement de l’inflation.
2. La moyenne magique : d’où sort ce 1,6% qui arrange tout le monde et surtout le système ?
Comment est-il mathématiquement possible d’obtenir une inflation moyenne de 1,6% quand les produits essentiels explosent à +13%, +8,5% et que les matériaux de construction restent 20% plus chers qu’avant la crise Covid ? Cette question n’est pas rhétorique, elle est fondamentale ! Car pour obtenir cette moyenne miraculeusement basse, il faut nécessairement que d’autres produits aient connu des baisses ou des stagnations significatives. Mais lesquels ? L’article reste mystérieusement muet sur cette question cruciale.
Cette omission n’est pas un oubli, c’est une stratégie délibérée de « black-boxing » statistique. Si on vous révélait que la baisse des prix des smartphones reconditionnés ou des abonnements internet compensait mathématiquement l’explosion du coût du poisson, vous réaliseriez immédiatement l’absurdité de cette moyenne. Un ménage polynésien mange du poisson plusieurs fois par semaine mais n’achète un nouveau smartphone qu’une fois tous les deux ou trois ans ! Comment ces deux réalités peuvent-elles avoir le même poids dans un indice censé refléter la vie quotidienne ?
La manipulation la plus perverse se cache dans les pondérations utilisées pour calculer la moyenne. Ces pondérations sont supposées refléter la part de chaque produit dans le budget d’un ménage « représentatif ». Mais ce ménage représentatif est une fiction statistique ! En attribuant arbitrairement plus de poids à des catégories de produits dont les prix stagnent ou baissent, on peut mécaniquement faire baisser la moyenne globale. C’est comme calculer la température moyenne du corps en donnant le même poids au petit orteil qu’à l’ensemble du torse !
Les statisticiens adorent inclure dans leurs indices des produits technologiques dont les prix baissent naturellement avec le temps. L’astuce la plus sournoise dans cette cuisine statistique reste sans doute ce qu’on appelle les « ajustements hédoniques » – cette technique comptable qui considère qu’une partie de l’augmentation de prix n’est pas de l’inflation mais le « coût de l’amélioration » du produit. Un téléviseur à 60.000 F qui remplace un modèle à 50.000 F mais avec une meilleure résolution? Les statisticiens peuvent décider que les 10.000 F supplémentaires ne sont pas de l’inflation mais le « prix du progrès »! C’est comme si on vous disait que l’augmentation du prix de l’essence n’est pas de l’inflation parce que les moteurs sont plus efficaces – mais vous devez quand même payer le plein plus cher !
La méthode inverse consiste à dire qu’une télévision 4K de 55 pouces coûte moins cher aujourd’hui qu’il y a deux ans. Mais quel est le piège ? Le modèle inclu dans les statistiques n’existe plus sur le marché ! Et son remplaçant, avec quelques fonctionnalités supplémentaires « indispensables », coûte en réalité plus cher que l’ancien modèle à sa sortie et les statiques ignorent sciemment le nouveau modèle dans leurs calculs. Résultat ? Les statistiques montrent une baisse de prix alors que le consommateur paie plus ! Cette technique de « baisse fictive » est utilisée massivement pour les smartphones (par exemple le prix de l’iPhone 14 Pro a beaucoup baissé en 2 ans), ordinateurs, et appareils électroménagers dans le calcul de l’inflation. Cela permet d’avoir des pourcentages négatifs et donc de faire baisser drastiquement la moyenne générale de l’inflation.
Pour vous faire comprendre, on va prendre un raisonnement ultra simpliste :
- le mahi mahi a augmenté de 13%
- le coca cola a augmenté de 8,5%
- un téléviseur OLED a baissé de -16,7% passant de 250.000 F à 208.250 F en oubliant sciemment que son successeur (la génération suivante a augmenté de 10%, passant donc de 250.000 F à 275.000 F parce que plus de fonctionnalité et par la même occasion, engendrer une baisse de l’ancienne génération, c’est ce qui se passe aussi pour la sortie de chaque nouvel iPhone)
Faisons le calcul dans cette configuration :
- Formule de la moyenne arithmétique :
Inflation = (Variation₁ + Variation₂ + Variation₃) / Nombre de produits - **Remplacement par les valeurs données&& :
- Mahi mahi : +13 %
- Coca Cola : +8,5 %
- Téléviseur OLED : -16,7 %
Ainsi, l’inflation = (13 + 8,5 + (–16,7)) / 3 - Calcul de la somme des variations :
13 + 8,5 = 21,5
21,5 – 16,7 = 4,8 - Division par le nombre de produits :
Inflation = 4,8 / 3 = 1,6 %
Ainsi, avec cette configuration, l’inflation est de 1,6 %. Ça y est, vous comprenez la douille ?
À présent, on va faire le même travail sans chercher à manipuler les statistiques. C’est-à-dire comparer ce qui est comparable. Il est bien évident que quand une génération de téléviseur disparaît, nous allons acheter la nouvelle génération, ce qui donne la configuration suivante :
- le mahi mahi a augmenté de 13%
- le coca cola a augmenté de 8,5%
- un téléviseur OLED a augmenté de 10% avec l’arrivée de la nouvelle génération
On reprend le même raisonnement :
- Établir la formule de la moyenne arithmétique
Inflation moyenne = (Variation₁ + Variation₂ + Variation₃) / 3 - Remplacer par les valeurs données
- Mahi mahi : +13 %
- Coca Cola : +8,5 %
- Téléviseur OLED : +10 %
Ainsi, on a :
(13 + 8,5 + 10) / 3 - Calculer la somme des variations
13 + 8,5 = 21,5
21,5 + 10 = 31,5 - Diviser par le nombre de produits
Inflation moyenne = 31,5 / 3 = 10,5 %
Ainsi, avec cette configuration, l’inflation moyenne est de 10,5 %.
Ce qui correspond plus à la réalité (sans chercher à « manipuler » les statistiques sournoisement).
Et voilà comment on fabrique un 1,6% miraculeusement rassurant à partir de réalités économiques catastrophiques. Mais il faut comprendre que cette manipulation a des conséquences concrètes et dévastatrices : les ajustements de prestations sociales, les négociations salariales, les pensions de retraite – tout est indexé sur cet indice artificiel qui sous-estime dramatiquement l’inflation réelle subie par les plus vulnérables. C’est une forme de violence économique institutionnalisée, un transfert invisible mais massif de richesse des plus modestes vers les mieux lotis.
Le plus révoltant? Cette cuisine statistique est présentée comme une science objective, alors qu’elle résulte de choix méthodologiques profondément politiques. Inclure tel produit plutôt que tel autre, attribuer telle pondération plutôt que telle autre – ces décisions apparemment techniques déterminent fondamentalement le résultat. Mais contrairement à un projet de loi qui peut être débattu publiquement, ces choix méthodologiques sont faits dans l’ombre, par des technocrates non élus, sans aucune transparence démocratique.
3. Le jeu chronologique : quand janvier révèle la supercherie
Si l’on veut trouver la preuve irréfutable de cette manipulation statistique, il suffit de s’arrêter sur cette information apparemment anodine glissée au milieu de l’article : l’inflation du mois de janvier seul a été de 0,7%. Ce chiffre, présenté comme rassurant, est en réalité l’aveu involontaire de toute la manipulation!
Faisons le calcul que quasiment personne ne fait : une inflation mensuelle de 0,7% ? Si ce rythme se maintient sur l’année, cela donnerait (1,007^12 – 1) × 100 = 8,7% d’inflation annuelle ! C’est plus de cinq fois supérieur à l’inflation annoncée de 1,6% ! Cette accélération brutale est masquée par ce que les manipulateurs de statistiques appellent « l’effet de base » – comparer avec des périodes différentes pour dissimuler les tendances alarmantes.
Le coup de génie est d’utiliser le taux annuel de 1,6% comme référence psychologique. Une fois ce chiffre ancré dans votre esprit, une hausse mensuelle de 0,7% semble minuscule alors qu’elle représente en réalité une accélération catastrophique. Cette technique de « manipulation des cadres temporels » est identique à celle utilisée par les fabricants de cigarettes qui comparaient les taux de cancer sur 5 ans (faibles) plutôt que sur 20 ans (catastrophiques) pour masquer l’impact réel du tabagisme.
Cette manipulation chronologique est renforcée par l’affirmation simpliste que « l’inflation du mois de janvier ne devrait pas continuer d’évoluer à la hausse ». Sur quelle base? Quelles données? Quelles analyses? Aucune précision, juste une déclaration rassurante lancée comme un sortilège censé calmer les inquiétudes. C’est exactement comme dire « ne vous inquiétez pas pour cette fièvre de 39°C, elle ne devrait pas continuer à monter » sans aucun diagnostic ni traitement.
Mais la manipulation temporelle la plus perverse se trouve dans le traitement des prix du bois: « le matériau serait encore 20% plus cher qu’avant la période Covid ». Cette formulation est un chef-d’œuvre de réancrage psychologique. En utilisant le pic de la crise Covid comme référence implicite, on présente une situation catastrophique (20% d’augmentation permanente) comme une amélioration! C’est comme dire qu’un malade avec 40°C de fièvre « va mieux » car hier il avait 41°C, en omettant de mentionner que sa température normale est de 37°C.
Ce jeu chronologique délibéré exploite notre incapacité cognitive à intégrer des informations présentées dans des cadres temporels incohérents. Comme un magicien qui détourne votre attention en parlant pendant qu’il exécute son tour, ces sauts d’une période à l’autre empêchent votre cerveau de construire une image cohérente de la dynamique inflationniste. Et cette confusion n’est pas accidentelle – elle est délibérément créée pour vous empêcher de réaliser que vous êtes en train d’assister à une accélération catastrophique de l’inflation.
Mais la technique la plus perverse se cache dans la comparaison avec « l’avant-Covid ». Dire que « le matériau serait encore 20% plus cher qu’avant la période Covid » normalise une situation anormale. C’est comme dire qu’un patient avec 40°C de fièvre « va mieux » parce qu’hier il avait 41°C, en omettant de mentionner que sa température normale est de 37°C ! Cette technique de « relativisation à la période de crise » fait passer une situation durablement catastrophique (20% d’augmentation permanente) pour une amélioration, simplement parce qu’on compare à un moment encore pire.
Prenons un exemple concret: imaginez que le prix d’un ordinateur portable standard était de 100 000 francs pacifiques avant Covid, puis a grimpé à 150 000 durant la crise, et est maintenant « redescendu » à 120 000. Les statisticiens vont célébrer une « baisse de 20% » par rapport au pic, en masquant qu’il s’agit toujours d’une hausse de 20% par rapport à l’état normal. C’est exactement la même technique que les magasins qui augmentent leurs prix de 50% avant les soldes pour ensuite afficher des « réductions de 30% » et vous faire croire que vous faites une affaire!
Un autre tour de passe-passe temporel se cache dans le traitement asymétrique des « effets saisonniers ». Notez comment le professeur d’économie explique l’augmentation de 13% des produits de la mer par « des épisodes pluvieux » et « c’est assez classique en début d’année ». Mais si c’est « classique », pourquoi ne pas utiliser des données corrigées des variations saisonnières comme le font les économistes pour toutes les autres statistiques ? Parce que cela montrerait une hausse structurelle beaucoup plus alarmante ! C’est comme si on vous disait que votre facture d’électricité a doublé, mais que c’est « normal quand il fait chaud » – sans jamais comparer avec les périodes chaudes précédentes pour voir la tendance réelle.
Cette confusion temporelle n’est sans doute pas accidentelle, c’est une stratégie calculée qui exploite une faille cognitive bien connue : notre difficulté à intégrer des informations présentées dans des cadres temporels incohérents. Comme un magicien qui détourne votre attention en parlant pendant qu’il exécute son tour, ces sauts d’une période à l’autre empêchent votre cerveau de construire une image cohérente de la dynamique inflationniste. Et sans cette vision d’ensemble, vous ne pouvez pas réaliser que la situation se dégrade rapidement.
4. La normalisation programmée : comment faire accepter l’inacceptable ?
« C’est assez classique en début d’année » affirme le professeur d’économie pour expliquer la hausse de 13% des produits de la mer. Cette phrase apparemment anodine est peut-être la manipulation la plus insidieuse de tout l’article : elle vise à reprogrammer votre cerveau pour accepter comme « normale » une situation objectivement catastrophique.
Analysons cette affirmation: si une hausse de 13% était « classique » chaque début d’année, alors en cinq ans, le prix du poisson aurait plus que doublé! Est-ce vraiment le cas ? Bien sûr que non! Cette technique de « normalisation de l’extrême » est probablement la plus dangereuse de toutes les manipulations cognitives: elle vise à modifier votre perception même de ce qui constitue une situation acceptable ou inacceptable.
Les psychologues ont démontré que la simple affirmation qu’une situation est « normale » ou « classique » suffit à réduire considérablement la résistance qu’elle suscite. C’est un peu comme si on vous disait qu’il est « normal » d’avoir mal quand on vous arrache une dent sans anesthésie – non pas pour vous consoler, mais pour vous faire accepter qu’on continue à vous refuser l’anesthésie ! Cette normalisation n’est pas un accident, c’est une stratégie délibérée de contrôle social : faire accepter des situations objectivement inacceptables en les présentant comme inévitables.
Cette stratégie de normalisation est particulièrement efficace quand elle est appliquée progressivement – exactement comme la grenouille qui ne saute pas hors de la casserole si l’eau chauffe lentement jusqu’à ébullition. C’est pourquoi les manipulateurs économiques préfèrent une série de petites hausses (qui finissent par s’accumuler) plutôt qu’une seule hausse massive qui déclencherait une réaction immédiate.
L’efficacité de cette stratégie repose sur un phénomène psychologique bien documenté : l’adaptation hédonique. Notre cerveau s’habitue rapidement à un nouveau niveau de douleur ou d’inconfort et l’établit comme nouvelle référence si la hausse est faible à chaque fois qu’elle survient. C’est ainsi que des populations peuvent vivre pendant des années dans des conditions que des observateurs extérieurs jugeraient intolérables, simplement parce que ces conditions sont devenues « la nouvelle normalité ».
Cette normalisation programmée n’est pas juste une technique de communication, c’est une forme de violence psychologique : elle vise à vous faire accepter comme inévitables des situations qui résultent en réalité de décisions politiques et économiques bien précises. En présentant l’augmentation de 13% comme « classique », on évite soigneusement de poser les questions qui fâchent : Qui profite de ces hausses ? Comment sont-elles décidées ? Pourquoi certains prix augmentent-ils beaucoup plus que d’autres ? Ces questions fondamentales disparaissent sous le mantra du « c’est normal ».
5. L’arnaque fiscale : tripler une taxe sans faire de vague
Au détour d’une phrase, l’article nous informe que « la TVA sur le sucre qui a augmenté de 5 à 16 points au 1er janvier ». Traduisons en français clair : cette taxe a été TRIPLÉE du jour au lendemain sans aucune explication ! Imaginez une seconde qu’on triple votre impôt foncier – ce serait un scandale ! Mais quand il s’agit d’une taxe sur la consommation, qui frappe proportionnellement plus fort les ménages modestes, c’est présenté comme une simple donnée technique.
Cette hausse massive mérite qu’on s’y arrête une minute. Le gouvernement nous sert deux explications très différentes : d’un côté, « c’est pour votre santé », de l’autre, « ça va rapporter des milliards ».
Attendez une seconde… ces deux objectifs ne peuvent pas fonctionner en même temps ! Si la taxe marche vraiment pour réduire la consommation de sucre, alors les revenus fiscaux devraient chuter. Si elle rapporte des milliards, c’est que les gens continuent d’acheter autant de produits sucrés.
C’est un peu comme si comme votre médecin vous prescrirait un médicament pour arrêter de fumer tout en vous disant « surtout, continuez à acheter des cigarettes, j’ai besoin que vous continuiez à venir me consulter et donc pour toucher ma commission ! »
C’est ce qu’on appelle une contradiction logique – quand deux affirmations ne peuvent pas être vraies en même temps. Ce type de raisonnement défectueux est courant quand on essaie de justifier une mesure impopulaire avec des arguments qui se contredisent.
Les taxes « Santé » : pas juste le sucre !
Le sucre n’est pas seul dans le viseur. L’alcool, le tabac et certains produits ultra-transformés sont également taxés pour des raisons supposément sanitaires. Mais cette réalité rend encore plus bizarre l’insistance spécifique sur les « milliards » que vont rapporter ces taxes.
Si toutes ces taxes sont vraiment pour notre santé, pourquoi mettre en avant les recettes fiscales pour l’une d’entre elles ? Cette incohérence dans la communication révèle souvent les véritables priorités.
On reconnaît ici un double discours, une technique rhétorique où l’on adapte son message selon l’auditoire ou le contexte. Santé quand on veut paraître préoccupé par le bien-être des citoyens, revenus quand on parle de budget.
Qui paie vraiment plus ?
Imaginez deux familles :
- La famille Martin gagne 500 000 francs par mois
- La famille Tehei gagne 150 000 francs par mois
Quand le kilo de sucre augmente de 100 francs à cause de la taxe, qui ressent le plus cette hausse ? Pour les Martin, c’est une poussière dans leur budget. Pour les Tehei, ça peut signifier des choix difficiles.
Ce qu’on ne vous dit jamais, c’est que ces taxes sur la consommation frappent proportionnellement beaucoup plus fort les familles modestes. Les économistes appellent ça une « taxe régressive » – elle pèse plus lourdement (en pourcentage du revenu) sur ceux qui gagnent moins.
C’est un exemple d’angle mort du discours officiel. En ne mentionnant jamais cet impact différencié, on commet ce qu’on appelle un « péché d’omission » – une façon de tromper non pas en mentant, mais en cachant une partie importante de la vérité.
La santé publique ne se résume pas à une Taxe
Si on voulait vraiment améliorer la santé des gens, une taxe isolée est comme essayer de vider l’océan avec une cuillère. Où sont les autres mesures nécessaires ?
- Programmes éducatifs sur la nutrition dans les écoles
- Subventions pour rendre les fruits et légumes moins chers
- Amélioration des installations sportives dans les quartiers défavorisés
- Meilleur accès aux soins préventifs
- Réglementation plus stricte sur la publicité alimentaire
Certaines mesures sont déjà mises en place, mais les moyens sont mises en œuvre sont clairement insuffisants.
Présenter la taxe comme LA solution au problème de santé publique est ce qu’on appelle un faux dilemme. Cette erreur de raisonnement vous fait croire qu’il n’existe que deux options : taxer le sucre ou ne rien faire du tout. En réalité, il existe de nombreuses autres approches complémentaires qui pourraient être bien plus efficaces.
L’argent de la taxe : où va-t-il vraiment ?
On nous parle de « milliards » de recettes, mais pour quoi faire exactement ? Iront-ils directement à des programmes de santé ? À l’hôpital ? À des subventions pour une alimentation saine ? Ou simplement dans le budget général ?
Ce flou n’est probablement pas accidentel. Sans affectation claire et transparente, ces revenus peuvent facilement être redirigés vers d’autres priorités qui n’ont rien à voir avec la santé publique.
C’est ce qu’on appelle un manque de transparence délibéré. Quand on évite de préciser l’utilisation des fonds tout en mettant en avant leur importance, on crée une zone d’ombre qui permet toutes sortes de manipulations budgétaires futures.
Comment savoir si ça marche ?
Imaginons que cette taxe existe depuis 5 ans. Comment sauriez-vous si elle a réussi ou échoué ? Quel serait le critère de succès ? Une baisse de 10% de la consommation de sucre ? Une réduction du taux d’obésité de 5% ?
Ces questions essentielles restent sans réponse. Sans objectifs clairs et mesurables, il sera impossible de juger l’efficacité de cette mesure. En tout cas, les précédentes, taxes, que ce soit sur le sucre, le tabac ou l’alcool n’ont pas eu d’impact réellement significatif sur la santé publique.
C’est ce qu’on appelle un raisonnement flou ou non falsifiable. Une bonne politique publique devrait pouvoir être évaluée objectivement – on devrait pouvoir dire clairement si elle a réussi ou échoué selon des critères définis à l’avance.
Les gens ne réagissent pas comme des robots
Quand le prix du sucre augmente, les gens ne vont pas simplement arrêter d’en consommer. Ils pourraient :
- Acheter des produits sucrés moins chers mais de moins bonne qualité
- Remplacer le sucre par des édulcorants artificiels (qui ont leurs propres problèmes)
- Faire des économies sur d’autres produits plus sains pour continuer à acheter du sucre
- Développer un marché parallèle pour des produits non taxés
Ces comportements adaptatifs sont bien connus des économistes, mais totalement ignorés dans la présentation simpliste de cette taxe.
C’est une simplification excessive des comportements humains, un raccourci intellectuel qui ignore la complexité des réactions humaines face aux changements de prix.
Ce que d’autres pays nous apprennent
De nombreux pays ont déjà essayé des taxes similaires. Que s’est-il passé ?
- Au Mexique, la consommation a baissé puis est revenue presque au niveau initial après quelques années (le naturel revient au galop)
- Au Royaume-Uni, les fabricants ont modifié leurs recettes pour utiliser moins de sucre
- En Hongrie, les revenus fiscaux ont été importants mais l’impact sur la santé reste discutable
Ne pas mentionner ces expériences internationales, c’est nous priver d’informations cruciales pour juger cette politique.
C’est un exemple d’appel à l’ignorance – quand on suggère qu’une proposition est vraie simplement parce qu’elle n’a pas été prouvée fausse, ou qu’on évite de mentionner les preuves qui pourraient la remettre en question.
Quand la santé devient une source de revenus
Voici le paradoxe le plus troublant : si cette taxe réussit parfaitement à éliminer la consommation excessive de sucre, le gouvernement perdra une source importante de revenus. Cela crée une motivation perverse à maintenir un certain niveau de consommation de produits malsains.
C’est ce qu’on appelle un conflit d’intérêts structurel – quand le système est conçu de façon à créer des motivations contradictoires, comme ici entre l’amélioration de la santé publique et le maintien des recettes fiscales.
Pour une approche plus honnête
Une présentation vraiment complète et honnête de cette augmentation de TVA devrait inclure :
- Une clarification des objectifs principaux : santé ou fiscalité ?
- Une analyse de l’impact sur différentes catégories de la population
- Une présentation des mesures complémentaires prévues
- Des objectifs clairs et mesurables pour évaluer le succès
- Une comparaison avec l’expérience d’autres pays
- Une reconnaissance des dimensions culturelles et sociales
- Une explication détaillée de l’utilisation prévue des revenus générés
- Une discussion des alternatives possibles
L’absence de ces éléments n’est pas forcément due à une volonté de manipulation du journaliste, mais plutôt à une tendance générale à simplifier des questions complexes.
Exiger ces informations n’est pas être pointilleux – c’est demander le minimum nécessaire pour comprendre une politique qui affecte directement notre portefeuille et potentiellement notre santé.
6. La particularité insulaire invisibilité : le piège du fret
Caché au milieu de l’article se trouve peut-être l’information la plus révélatrice pour comprendre l’économie polynésienne : « le coût du fret représente une part très significative du coût du produit » pour les matériaux de construction, qui sont « des produits très volumineux, à faible valeur ». Cette observation en apparence anodine révèle en réalité le fondement structurel de l’économie insulaire – mais elle est traitée comme un détail technique au lieu d’être placée au centre de l’analyse.
La Polynésie française est un archipel situé à 17 000 km de la France métropolitaine, éparpillé sur une superficie équivalente à celle de l’Europe. Cette réalité géographique bouleverse complètement les équations économiques classiques. Chaque produit importé doit traverser la moitié du globe sur des porte-conteneurs, puis être redistribué entre les îles par des liaisons maritimes secondaires. Ce n’est pas un détail – c’est la structure même de l’économie polynésienne.
L’observation de l’importateur sur l’impact disproportionné du fret pour les produits volumineux à faible valeur explique pourquoi l’inflation polynésienne suit des dynamiques totalement différentes de celles observées en métropole. Quand le coût du transport maritime mondial augmente, l’effet est marginal sur le prix d’un smartphone en France, mais peut représenter une hausse de 20% ou plus sur un matériau de construction en Polynésie!
Ce qui est encore plus troublant, c’est la mention par l’importateur que « les droits de douanes et taxes à l’importation devraient être rediscutés pour ne pas inclure le prix du fret dans les calculs ». Cette remarque apparemment technique révèle un mécanisme multiplicateur d’inflation spécifique aux territoires insulaires : non seulement le fret augmente le prix de base, mais ensuite les taxes sont calculées sur ce prix déjà majoré ! C’est littéralement une taxe sur la taxe, un effet multiplicateur qui amplifie artificiellement l’inflation importée.
Cette double ou triple insularité de nombreux territoires polynésiens (importation via Tahiti puis redistribution vers les archipels éloignés) crée des cascades de coûts qui exacerbent dramatiquement les tendances inflationnistes mondiales. Une hausse de 5% du fret maritime mondial peut facilement se traduire par une augmentation de 15-20% du prix final dans une île éloignée. Cette vulnérabilité structurelle aux chocs logistiques externes est un facteur fondamental de l’économie polynésienne que l’article effleure à peine.
L’invisibilisation des spécificités économiques insulaires n’est pas un simple oubli analytique; elle révèle un impérialisme intellectuel qui applique aveuglément des grilles de lecture économiques continentales à des réalités fondamentalement différentes. Les économistes formés dans les grandes universités métropolitaines importent leurs modèles standardisés sans les adapter aux particularités des économies insulaires, produisant des analyses déconnectées des réalités vécues par les populations.
Cette cécité analytique a des conséquences concrètes: des politiques économiques inadaptées, des objectifs d’inflation irréalistes, des mesures qui négligent les vulnérabilités spécifiques des économies insulaires. Pour comprendre véritablement l’inflation polynésienne, il faudrait abandonner les lunettes continentales et développer des outils d’analyse spécifiquement adaptés aux réalités géographiques, logistiques et économiques des archipels isolés.
7. Les fantômes de l’économie : qui décide réellement des prix ?
Un des angles morts les plus flagrants de cette analyse de l’inflation polynésienne est l’absence totale des acteurs économiques qui fixent réellement les prix. L’inflation semble tomber du ciel comme la pluie, sans que personne ne la décide. Cette désincarnation n’est pas anodine : elle présente les hausses de prix comme des phénomènes naturels inévitables plutôt que comme le résultat de décisions humaines spécifiques.
Qui décide des prix en Polynésie ? Les importateurs ? Les grandes surfaces ? Les producteurs locaux ? Les transporteurs maritimes ? Cette question fondamentale reste sans réponse. Cette invisibilisation des décideurs économiques n’est pas un simple oubli journalistique, c’est une technique délibérée de « naturalisation » qui transforme des choix humains en phénomènes quasi-météorologiques. Personne ne manifeste contre le mauvais temps, n’est-ce pas ?
Cette présentation désincarnée masque les rapports de pouvoir économiques qui structurent fondamentalement la formation des prix. Dans de nombreux secteurs polynésiens, la concentration des acteurs est extrême – quelques grandes familles contrôlent une part significative de l’import-export, de la grande distribution, du transport maritime inter-îles. Cette structure oligopolistique permet des marges commerciales bien supérieures à celles pratiquées en métropole, mais cette dimension est totalement absente de l’analyse.
L’article mentionne que « les consommateurs, comme les professionnels du secteur attendent toujours une réforme de la fiscalité » sans jamais préciser qui veut quoi exactement. Cette homogénéisation artificielle des intérêts masque des antagonismes économiques fondamentaux. Un importateur ne veut pas la même réforme fiscale qu’un producteur local en concurrence avec les importations. Un consommateur urbain aisé n’a pas les mêmes priorités fiscales qu’une famille modeste. Cette présentation unifiée d’acteurs aux intérêts divergents est ce qu’on pourrait appeler le « mythe du consensus économique » – la fiction d’une société sans conflits d’intérêts majeurs, où tous s’accordent sur les solutions à apporter.
Cette invisibilisation des rapports de force économiques sert un objectif précis : dépolitiser la question des prix. Si personne n’est responsable des hausses, si elles résultent de mécanismes impersonnels et inévitables, alors la contestation sociale perd son objet. Contre qui manifester ? Qui interpeller ? À qui adresser des revendications ? En transformant l’économie en système abstrait sans acteurs identifiables, on neutralise la capacité même des citoyens à se mobiliser contre les injustices économiques.
L’angle mort le plus troublant reste peut-être l’absence d’analyse des marges à différentes étapes de la chaîne de valeur. Quelle part de la hausse de 13% sur les produits de la mer correspond à une augmentation des coûts réels (carburant, matériel de pêche, etc.) et quelle part représente une augmentation des marges des différents intermédiaires ? Sans cette décomposition essentielle, il est impossible de déterminer si l’inflation résulte de contraintes objectives ou d’une captation accrue de valeur par certains acteurs économiques. Ce silence sur les marges n’est pas neutre: il protège les intérêts des acteurs dominants de la chaîne de valeur en rendant invisibles leurs stratégies potentielles d’augmentation de leurs profits.
8. Conclusion : pourquoi cette manipulation ? Qui en profite ?
L’inflation n’est pas un phénomène naturel comme la pluie ou le vent – c’est le résultat de décisions humaines concrètes prises par des acteurs bien identifiables. Alors pourquoi cette volonté délibérée de nous faire croire que l’inflation ici n’est que de 1,6%, tout en admettant sélectivement quelques hausses beaucoup plus élevées ?
La réponse est à chercher dans les conséquences pratiques de ce chiffre artificiellement bas. L’indice d’inflation officiel sert de référence pour l’indexation des prestations sociales, les négociations salariales, les pensions de retraite. Une sous-évaluation systématique de l’inflation réelle représente un transfert invisible mais massif de richesse des plus modestes (dont les revenus sont indexés sur cet indice truqué) vers les mieux lotis (qui profitent de la modération salariale qui en résulte).
Pour les autorités politiques, maintenir une inflation officielle basse permet également d’éviter les revendications sociales et les demandes de revalorisation salariale. Quand le discours officiel affirme que l’inflation n’est que de 1,6%, il devient beaucoup plus difficile pour des salariés de justifier une demande d’augmentation de 5% ou plus, même si c’est ce qu’exigerait réellement l’évolution de leur coût de la vie.
Le plus troublant reste peut-être la volonté délibérée d’admettre quelques hausses spectaculaires (13%, 8,5%) tout en maintenant le chiffre global artificiellement bas. Cette stratégie de « l’aveu contrôlé » crée une illusion de transparence et d’honnêteté qui rend la manipulation globale beaucoup plus difficile à contester. Comment accuser les statisticiens de manipuler les chiffres puisqu’ils admettent eux-mêmes des hausses spectaculaires sur certains produits ?
La prochaine fois qu’on vous présentera un chiffre d’inflation rassurant tout en admettant quelques hausses spectaculaires sur des produits essentiels, souvenez-vous de cette stratégie de manipulation. Demandez-vous : qui a intérêt à minimiser l’inflation réelle ? Quelle est la composition exacte du panier utilisé pour calculer cet indice ? Quelles pondérations sont attribuées aux différentes catégories de produits ? C’est seulement en posant ces questions dérangeantes que nous pourrons commencer à percer le brouillard statistique et comprendre la réalité économique qui se cache derrière ces chiffres apparemment objectifs. Or toutes ces informations, l’ISPF s’abstient de les divulguer, très certainement contre leur gré. Mais nous ne porterons pas ici des accusations à tort.
L’inflation n’est pas un phénomène abstrait et isolé – elle n’a de sens qu’en relation avec le pouvoir d’achat réel des ménages. Or, cette relation semble être sciemment ignorée, très probablement pour ne pas faire de vague.
PS : nous supprimerons cet article et nous présenterons nos excuses publiquement à l’ISPF si elle divulgue l’entièreté de ses calculs pour arriver à ce chiffre de +1,6% et que ces calculs prouvent que notre raisonnement est complètement faux.