Le soleil cognait fort sur la baie d’Opunohu ce samedi 15 mars 2025, mais la vraie chaleur venait des esprits en ébullition. Entre 8h et 12h20, le Lycée Professionnel Agricole a transformé ses salles de classe en véritables laboratoires d’idées où les centaines de visiteurs, parents curieux, élèves hésitants, professionnels du secteur et enseignants engagés ont convergé vers cet espace où l’on apprend autrement.

L’événement n’a pas été conçu comme une simple visite guidée, un défilé de stands où l’on distribue des prospectus et des sourires de circonstance. Il s’agissait d’un miroir tendu aux élèves, aux parents et à toute la société polynésienne : quelle place donne-t-on à l’éducation agricole et environnementale dans un monde où les enjeux climatiques, alimentaires et technologiques évoluent à une vitesse vertigineuse ? La Polynésie de demain sera-t-elle capable de nourrir sa population en toute autonomie ? Qui formera les agriculteurs de demain, ces artisans du vivant qui devront jongler entre respect de l’écosystème et rentabilité économique ? L’enseignement agricole est-il un simple tremplin vers un emploi, ou un véritable engagement pour construire un mode de vie plus résilient et durable ?
Cette JPO a été une réponse en actes à ces questions. Chaque stand, chaque animation, chaque démonstration contenait une promesse, une mise en garde, une invitation à reconsidérer nos choix éducatifs et professionnels. Ceux qui s’attendaient à un événement purement informatif sont repartis avec bien plus qu’un simple programme de formation en main : ils ont été confrontés à une réalité tangible, une réflexion en mouvement sur l’avenir de la Polynésie.
Inauguration : la tradition comme tremplin pour l’avenir
Dès 8h30, la cérémonie d’ouverture a donné un ton clair à la journée. Un discours de bienvenue de la direction, suivi d’une prestation culturelle soigneusement préparée par les élèves, a rappelé que cette journée s’inscrivait dans un héritage et une continuité. À première vue, on pourrait se demander : pourquoi inaugurer une JPO avec des danses et un ōrero (discours traditionnel) ? Parce que toute éducation s’ancre dans une histoire, dans une culture, dans un territoire.

L’éducation agricole ne peut pas être pensée de manière déconnectée du territoire où elle s’exerce. Si les formations de l’EPEFPA se contentaient d’appliquer des modèles importés, elles passeraient à côté de leur véritable mission : former des professionnels capables de répondre aux spécificités locales, de concilier les traditions polynésiennes et les exigences contemporaines de la production alimentaire et de l’aménagement du territoire.
Les visiteurs venus pour « une petite visite rapide » se sont retrouvés happés dans une réflexion profonde sur notre identité culturelle. Une grand-mère a murmuré, en regardant la danse aparima Te here e ti’ahia : « Avant, nous cultivions nos propres légumes. Maintenant, on achète tout en barquette au supermarché. » Cette phrase, lâchée innocemment, résumait tout le paradoxe d’un territoire qui a troqué son indépendance alimentaire contre la facilité immédiate.
Cette cérémonie a donc posé une question sous-jacente : jusqu’où faut-il adapter l’enseignement aux réalités locales ? À l’heure où l’agriculture industrielle domine, où les monocultures intensives standardisent les productions, comment préserver et valoriser les savoir-faire endémiques sans s’enfermer dans un folklore dépassé ? L’inauguration ne s’est pas contentée de célébrer une tradition : elle a ouvert un débat. L’éducation agricole est-elle un outil d’émancipation, ou un simple moyen d’adaptation aux modèles économiques dominants ?
Des stands vivants : quand l’information devient expérience
Après l’inauguration, les visiteurs ont été invités à se disperser à travers les divers espaces thématiques. Mais ici, pas question de se contenter de panneaux explicatifs et de brochures bien rangées sur une table. Chaque stand était conçu pour mettre en action, pour provoquer une interaction, pour transformer l’information en une expérience tangible.
Le stand d’accueil général « rond-point » de la JPO : orientait les visiteurs vers les formations adaptées à leurs attentes. Pourtant, très vite, il est apparu que les choix d’orientation ne se faisaient pas uniquement sur la base de programmes scolaires détaillés. Beaucoup de jeunes étaient là avec une question plus existentielle qu’académique : « Et si je ne sais pas encore ce que je veux faire ? » Ce à quoi les enseignants répondaient souvent par une autre question : « Qu’est-ce qui te passionne ? Où aimerais-tu être dans dix ans ? »
Derrière cette approche, une réalité : l’orientation ne peut pas être un simple choix entre des filières figées. Les élèves doivent apprendre à raisonner en termes de parcours évolutifs. Un jeune qui choisit aujourd’hui une filière horticole peut très bien se retrouver demain à la tête d’une entreprise d’agriculture urbaine ou à développer une marque de cosmétiques bio. Mais cela implique d’avoir une formation qui ne cloisonne pas, qui offre des passerelles, qui enseigne non seulement des compétences, mais aussi la capacité d’adaptation.
Le stand Vie Scolaire, de son côté, répondait à des préoccupations plus pragmatiques : comment se passent les inscriptions ? Quels sont les critères d’admission ? Quels sont les débouchés réels après un Bac Pro ou un BTSA ? Ces questions révèlent une tension bien réelle dans l’éducation contemporaine : doit-on encourager les élèves à suivre leurs passions, ou leur donner des formations avant tout orientées vers l’emploi ? Un enseignement qui ne mène pas à un métier stable est-il un luxe, ou une nécessité pour permettre aux jeunes de construire leur propre voie ?

Le stand Aménagement Paysager illustrait parfaitement cette problématique. À première vue, il semblait se limiter à une démonstration de techniques d’entretien des espaces verts. Mais au fil des échanges, une idée plus profonde émergeait : dans une Polynésie où l’urbanisation grignote chaque année un peu plus d’espace naturel, le paysagiste n’est pas un simple jardinier, il devient un acteur clé de l’équilibre entre urbanisation et préservation du cadre de vie. Cette filière prépare-t-elle uniquement à créer des jardins décoratifs, ou forme-t-elle de futurs concepteurs capables de réinventer l’aménagement du territoire pour une meilleure intégration avec l’écosystème local ?

Le stand Production Horticole, lui, interpellait directement les visiteurs sur leur rapport à l’alimentation. Dans un monde où la majorité des produits consommés en Polynésie sont importés, où l’agriculture locale peine à rivaliser avec les prix du marché mondial, est-il encore possible de produire localement de manière viable ? Les élèves n’ont pas seulement présenté leurs compositions florales, ils ont aussi engagé une conversation plus large sur la souveraineté alimentaire : peut-on rêver d’une Polynésie où chaque île produit suffisamment pour nourrir sa population ?
Chaque stand portait en lui des enjeux bien plus vastes que la simple présentation d’une filière. La JPO du Lycée d’Opunohu ne proposait pas simplement des formations : elle posait des problèmes, soulevait des contradictions, invitait à des choix. Le monde agricole n’est pas un secteur comme les autres : il touche à l’essentiel, à la manière dont nous nous nourrissons, à la manière dont nous occupons notre territoire, à la relation que nous entretenons avec la nature.
L’agriculture n’est plus un plan B, mais notre plan A.
Des parents sidérés ont découvert que leurs enfants, qu’ils voulaient voir médecins ou avocats, pourraient bien trouver leur vocation dans ces métiers de la terre qu’ils méprisaient autrefois. Les élèves ont démontré, exemples concrets à l’appui, que cultiver n’est plus l’affaire de ceux qui « n’ont pas réussi ailleurs » – c’est devenu la mission des plus lucides d’entre nous.

« Nos importations alimentaires dépassent aujourd’hui les 80%, » expliquait sans détour un élève de terminale TCVA à un père de famille médusé. « Demain, quand les bateaux ne viendront plus à cause d’une crise mondiale ou d’une tempête qui bloquera les ports, que mangerons-nous? » Cette question brutale a résonné comme une gifle dans l’esprit des visiteurs venus « juste voir ».
Contrairement aux écoles qui se contentent de former des travailleurs dociles, le Lycée d’Opunohu a prouvé qu’il forge des esprits critiques. Chaque stand, chaque démonstration posait la même question lancinante : comment avons-nous laissé un archipel aussi fertile devenir aussi dépendant?
Quand choisir, sa formation devient un acte engagé
Au fil des échanges dans les différents espaces thématiques de la Journée Portes Ouvertes, une évidence s’est imposée : choisir une formation agricole ou environnementale, ce n’est pas juste décider d’un métier, c’est prendre position sur le monde dans lequel on veut vivre. On aurait pu croire que l’événement se limiterait à une succession de démonstrations techniques et de présentations pédagogiques. Pourtant, derrière chaque discussion entre enseignants et visiteurs, derrière chaque démonstration d’un élève expliquant son travail, une question plus vaste se dessinait : dans un monde en pleine mutation, est-ce encore possible de choisir une formation par défaut, sans conscience des enjeux qu’elle implique ?
Si les formations agricoles et environnementales attirent aujourd’hui autant de jeunes, c’est peut-être parce que ces métiers sont en train de changer de statut. Longtemps perçus comme des voies de repli pour ceux qui n’avaient pas les moyens d’accéder aux filières dites « nobles » (scientifiques, juridiques, médicales), les métiers du vivant redeviennent des métiers d’avenir. Ils ne sont plus simplement associés à une tradition rurale, mais à une responsabilité globale. Produire autrement, aménager différemment, nourrir plus durablement : voici les défis concrets auxquels se forment aujourd’hui ces élèves.
Mais comment transmettre cette prise de conscience sans tomber dans un discours idéologique ? Comment convaincre un adolescent de 15 ans que s’engager dans l’horticulture ou l’aménagement paysager, ce n’est pas simplement apprendre à planter des fleurs ou à poser des dalles, mais participer à une transformation profonde de son territoire ? La réponse était visible dans les interactions de cette JPO : le contact direct avec ceux qui pratiquent ces métiers change tout.
Un élève expliquant pourquoi il a choisi la filière horticole a plus d’impact qu’un enseignant listant les matières du programme. Une démonstration sur l’entretien des sols vaut mieux qu’un long discours sur l’érosion et la permaculture. C’est précisément cette pédagogie du réel qui fait la force de l’enseignement agricole et environnemental : il ne s’apprend pas uniquement sur des bancs de classe, il se vit, il se touche, il se pratique.
Mais alors, si ces formations sont aussi engageantes et pertinentes, pourquoi restent-elles encore sous-estimées dans l’imaginaire collectif ? Pourquoi les parents continuent-ils à valoriser les filières générales, comme si elles garantissaient un avenir plus stable que celles qui apprennent à travailler avec la nature ?

L’un des moments marquants de la JPO a été la confrontation de ces deux visions de l’éducation. Certains parents, venus chercher des informations sur le nouveau baccalauréat général « à la carte », se sont retrouvés à écouter, fascinés, un élève de Bac Pro expliquer comment il avait réussi à produire des légumes sur un sol pauvre en nutriments, en appliquant des techniques de biostimulation naturelles. Ils s’attendaient peut-être à entendre parler de machines agricoles, ils se retrouvaient face à un adolescent qui parlait de chimie des sols et d’équilibre des écosystèmes. Le message était clair : les élèves de ces filières ne sont pas de simples exécutants, ce sont des chercheurs, des expérimentateurs, des innovateurs.
Alors, faut-il encore opposer filières générales et professionnelles ? Est-il temps d’admettre que les bacs pro et les BTS agricoles ne sont pas des « alternatives » à un enseignement plus prestigieux, mais bien des formations stratégiques pour l’avenir ?
Le nouveau baccalauréat général : une bonne idée ou un aveu d’échec ?
L’une des annonces phares de cette JPO 2025 a été la création du Baccalauréat Général à la carte, une formation qui combine les fondamentaux du bac général avec une orientation scientifique marquée. L’objectif affiché est clair : offrir aux élèves une formation généraliste qui ne ferme aucune porte, tout en les sensibilisant aux sciences du vivant et aux enjeux environnementaux.
Mais derrière cette nouveauté, une question plus large se pose : un lycée agricole doit-il proposer un bac général ? Certains enseignants y voient une évolution naturelle : ouvrir l’enseignement agricole à un plus large public, permettre à des élèves indécis de ne pas s’enfermer trop tôt dans une spécialisation, donner une légitimité académique aux savoirs environnementaux.
Certains parents ont vu là une aubaine – enfin un moyen d’envoyer son enfant dans un lycée agricole sans qu’il devienne… agriculteur. D’autres, plus sceptiques, craignent une dilution de l’identité du lycée. Un établissement qui forme à l’agriculture doit-il vraiment proposer des cours qui ne mènent pas directement à ce secteur ? Ce n’est pas seulement une question d’offre de formation, c’est une question de vision éducative.
« Ce bac n’est pas une concession à l’élitisme, » a défendu avec passion M. Faremiro, référent GT. « Nous nous adaptons au système éducatif classique pour faire entrer l’écologie et les sciences du vivant dans la tête de ceux qui deviendront peut-être économistes, politiciens ou entrepreneurs. » Cette déclaration a de quoi faire réfléchir, certains applaudissant cette audace, d’autres craignant une perte de valeurs.
Mais peut-être que la force de ce bac général réside justement dans cette ambiguïté. Peut-être que certains élèves, entrés par simple curiosité, finiront par changer de regard sur l’agriculture, la biologie, l’écologie. Peut-être que ce bac n’est pas une trahison de l’esprit du lycée, mais un levier pour diffuser plus largement une nouvelle vision du rapport à la nature.
Si l’on regarde cette innovation sous cet angle, elle devient bien plus qu’un simple ajustement de programme : elle est un cheval de Troie qui infiltre l’enseignement généraliste avec une conscience écologique et scientifique plus poussée. Et si l’objectif, au final, était de former une nouvelle génération d’étudiants qui, même en poursuivant des carrières éloignées de l’agriculture, garderont en eux une sensibilité accrue à ces enjeux ?
Ce baccalauréat soulève donc une question plus vaste encore : quelle place doit-on donner aux sciences de l’environnement dans l’éducation générale ? L’heure est-elle venue de cesser de les traiter comme des disciplines spécialisées, et de les intégrer pleinement dans la formation de tous les jeunes, qu’ils deviennent ingénieurs, économistes ou artistes ?
Le marché des producteurs : un cours de gestion grandeur nature
Si l’on devait désigner un espace de la JPO où l’apprentissage prenait une forme immédiatement concrète, ce serait sans conteste le Marché des Producteurs. Installé dans le parking du lycée, il était bien plus qu’un simple stand de vente. Il était un laboratoire à ciel ouvert, où les élèves de la filière Vente mettaient en application leurs compétences en marketing, en gestion de stock, en relation client.
Ici, on ne se contentait pas de parler de commerce agricole : on le pratiquait. Chaque produit vendu venait soit de l’exploitation du lycée, soit de producteurs locaux partenaires. Certains visiteurs, en discutant avec les élèves vendeurs, ont eu une prise de conscience immédiate : ces jeunes ne sont pas de simples commerçants en formation, ce sont les futurs acteurs d’un circuit économique local essentiel.
Et une autre réflexion surgissait : si ces jeunes ont été formés à comprendre l’importance des circuits courts, à valoriser les produits locaux, pourquoi l’économie polynésienne dépend-elle encore autant des importations ?
L’éducation peut-elle réellement inverser cette tendance, ou bien les choix de consommation sont-ils trop profondément ancrés pour être modifiés par une seule génération d’étudiants motivés ? Et si ces formations agricoles ne suffisaient pas, si elles devaient s’accompagner d’un changement plus large dans la manière dont la société perçoit son indépendance alimentaire ?
Ces questions, cette JPO ne les a pas seulement posées : elle les a rendues visibles.
Former pour résister aux crises : L’enseignement agricole face aux problématiques du XXIᵉ Siècle
Derrière les échanges passionnants de cette Journée Portes Ouvertes, une réalité s’est imposée : le monde agricole n’est pas une bulle isolée, il est en première ligne des grands bouleversements du monde d’aujourd’hui. Qu’il s’agisse des dérèglements climatiques, de la dépendance aux importations alimentaires ou des mutations du marché de l’emploi, l’agriculture et l’environnement sont au cœur des tensions et des opportunités de demain. Mais alors, est-ce que les formations proposées par le Lycée d’Opunohu sont à la hauteur de ces problématiques ? Préparent-elles réellement les élèves à un avenir incertain, où la capacité d’adaptation sera plus précieuse que n’importe quel diplôme ?
Une chose est sûre : cette JPO 2025 n’a pas vendu du rêve. Elle a montré la réalité, crue, complexe, exigeante. Loin des discours abstraits, elle a exposé les vrais enjeux d’une jeunesse qui devra affronter un monde en transition.
** l’indépendance alimentaire en Polynésie : utopie ou objectif réalisable ?
L’une des discussions les plus récurrentes dans les stands et les ateliers a porté sur un sujet brûlant : l’autosuffisance alimentaire en Polynésie. étant donné que nos cultures ne répondent qu’à 20 % des besoins alimentaires, en Polynésie, on est en droit de se poser la question : comment un territoire aussi riche en biodiversité, aussi fertile, en est-il arrivé à dépendre autant des importations ?
Les élèves en formation horticole et agricole connaissent bien ce problème. Ils voient chaque jour à quel point il est difficile pour les agriculteurs locaux de rivaliser avec les produits importés. La production locale doit affronter des coûts de production élevés, un manque de main-d’œuvre qualifiée, des problèmes d’accès aux marchés et une concurrence impitoyable de la grande distribution.
Alors, est-il vraiment réaliste d’imaginer une Polynésie qui pourrait se nourrir avec ses propres ressources ? Certains diront que c’est une illusion romantique, que l’économie mondiale est trop interconnectée pour qu’un territoire insulaire puisse s’affranchir de ses dépendances. D’autres, et en particulier les formateurs et élèves du lycée d’Opunohu, y voient un impératif stratégique. Car si un jour les importations venaient à être perturbées – crise économique, pandémie, tensions géopolitiques – la Polynésie serait-elle capable de tenir plus d’un mois avec sa propre production ?
Cette question dépasse largement le cadre de l’enseignement agricole. Elle interpelle directement les politiques publiques, les choix des consommateurs et la structure même du modèle économique polynésien. Les formations dispensées au lycée ne peuvent pas, à elles seules, inverser la tendance. Mais elles peuvent former une génération d’agriculteurs, de techniciens et d’entrepreneurs qui seront en mesure de proposer des solutions viables.
Durant la JPO, des élèves ont présenté des projets concrets pour renforcer cette autosuffisance :
- Production locale de semences adaptées au climat polynésien.
- Développement de techniques agricoles durables, comme l’agroforesterie et la permaculture.
- Création de coopératives pour mutualiser les ressources et améliorer la commercialisation des produits locaux.
Ces idées ne sont pas de simples exercices scolaires. Elles sont des pistes sérieuses pour repenser la production alimentaire locale. Mais elles soulèvent une autre question : une formation agricole peut-elle encore se permettre d’enseigner uniquement des techniques, ou doit-elle inclure des modules sur l’entrepreneuriat, l’économie et la politique alimentaire ?
Le climat change : et nos formations ?
Le réchauffement climatique n’est plus un sujet abstrait pour les agriculteurs et les paysagistes. En Polynésie, il est déjà une réalité. La montée des températures, l’acidification des sols, les périodes de sécheresse de plus en plus fréquentes… Autant de phénomènes qui changent la donne pour ceux qui travaillent la terre.
La question est simple : les formations actuelles prennent-elles en compte cette mutation climatique ? Lors de la JPO, certains visiteurs ont posé la question aux enseignants et aux élèves. La réponse est nuancée.
D’un côté, oui, les pratiques agricoles enseignées évoluent. Les élèves apprennent à cultiver en limitant l’usage des intrants chimiques, à développer des techniques de gestion de l’eau plus économes, à tester des variétés végétales plus résistantes aux conditions extrêmes.
Mais de l’autre, le système éducatif n’a pas encore totalement intégré l’urgence de la transition climatique. Un élève en Bac Pro Horticulture expliquait que beaucoup des techniques qu’on lui enseigne aujourd’hui sont encore basées sur un climat qui n’existe déjà plus. La nature change plus vite que les programmes scolaires.
Alors comment faire évoluer l’enseignement agricole pour qu’il ne se contente pas de rattraper les tendances, mais anticipe réellement l’avenir ? Est-ce que, par exemple, on devrait créer un module spécifique sur l’agriculture en conditions extrêmes, où l’on apprendrait à cultiver avec moins d’eau, sur des sols dégradés, avec des aléas climatiques imprévisibles ?
** la filière vente : former des commerçants ou des ambassadeurs des produits locaux ?**
L’un des pôles les plus fréquentés de la JPO a été celui dédié à la filière Vente et Conseil en Produits Alimentaires. Ici, pas question de former de simples caissiers ou vendeurs de supermarché. Les élèves apprennent à valoriser les productions locales, à comprendre les circuits de distribution et à conseiller les consommateurs.
Mais un constat s’impose : vendre des produits locaux est bien plus difficile que vendre des produits importés. La Polynésie a beau produire des fruits, des légumes et des produits transformés de qualité, ils restent souvent plus chers que leurs équivalents importés.

Durant la JPO, un exercice a particulièrement marqué les visiteurs : une comparaison directe entre des produits locaux et des produits importés. Confitures locales vs confitures industrielles. Fruits frais du fenua vs fruits arrivés par bateau. Jus de fruits naturels vs sodas de grandes marques.
Le résultat ? Beaucoup de visiteurs ont pris conscience d’un paradoxe troublant. Lorsqu’on met côte à côte un produit local et un produit importé, on réalise souvent que ce qui vient de loin est vendu moins cher, malgré les coûts de transport, alors qu’il est souvent de moindre qualité.
Mais alors, comment convaincre un consommateur de privilégier le local ? Est-ce une question de prix ? D’éducation au goût ? D’habitudes ancrées dans la société ?
Les élèves de la filière vente ont tenté de répondre à ces questions, en mettant en avant plusieurs axes de réflexion :
- Créer une vraie identité de marque pour les produits locaux, en jouant sur la fierté et la culture polynésienne.
- Proposer des dégustations pour que les consommateurs perçoivent la différence de qualité.
- Travailler sur la logistique et la distribution pour réduire les coûts et rendre ces produits plus accessibles.
Mais la vraie question est peut-être ailleurs : les formations en commerce devraient-elles inclure une dimension plus engagée, où l’on apprendrait à vendre autrement ? Car vendre un produit local, ce n’est pas seulement une transaction économique, c’est un acte militant, un moyen de redonner du pouvoir aux producteurs et de préserver un modèle agricole plus vertueux.
Et maintenant ? Une JPO qui laisse des traces
Cette Journée Portes Ouvertes du Lycée d’Opunohu n’a pas été une simple vitrine des formations existantes. Elle a été une photographie des mutations en cours, une confrontation directe avec les défis du XXIᵉ siècle.
Les visiteurs sont repartis avec des brochures, oui. Mais surtout avec des questions, des doutes, des envies. Loin d’un événement institutionnel figé, cette JPO a mis en lumière les contradictions, les évolutions et les révolutions nécessaires dans l’enseignement agricole.
💡 Alors, l’enseignement agricole est-il encore un choix « alternatif » ? Ou est-il en réalité devenu le cœur stratégique du monde qui vient ?
Les élèves formés à Opunohu seront sans doute mieux armés que la plupart d’entre nous pour affronter les mutations qui s’annoncent. Car au-delà des techniques agricoles, ils ont appris quelque chose d’essentiel : l’adaptabilité face à l’incertitude et la capacité à remettre en question les modèles actuels dominants.

La véritable réussite de cette JPO 2025 n’a pas été le nombre de préinscriptions récoltées, mais les conversations animées qui se sont poursuivies sur le parking après la fermeture officielle. Des parents qui venaient chercher des informations sur le bac général sont repartis en discutant des moyens de créer un potager familial. Des collégiens venus par obligation ont quitté le lycée en parlant d’agroécologie. Et ### Quel avenir pour l’éducation agricole en Polynésie ?
Le 15 mars 2025, le Lycée d’Opunohu n’a pas seulement ouvert ses portes, il a ouvert un débat essentiel : que signifie apprendre un métier du vivant à l’ère des crises climatiques, de la dépendance alimentaire et des mutations économiques ? Pendant une matinée, élèves, parents et enseignants ont confronté leurs certitudes, exploré de nouvelles perspectives et mis en lumière une réalité trop souvent ignorée : se former à l’agriculture, à l’environnement ou à la vente locale, ce n’est plus une option parmi d’autres, c’est une nécessité stratégique.
Faut-il repenser entièrement l’enseignement agricole pour préparer une jeunesse à un monde en rupture ? Nos formations actuelles répondent-elles vraiment aux défis de demain ? Et surtout, sommes-nous prêts à changer notre regard sur ces métiers qui façonnent, en silence, notre futur collectif ?
Cet article plonge au cœur de cette Journée Portes Ouvertes hors du commun, où chaque démonstration, chaque échange, chaque question posée révèle bien plus qu’un simple choix d’orientation : une réflexion sur le monde que nous voulons construire.