Pourquoi les polynésiens s’enfoncent dans le piège du surendettement

Nous vous invitons à lire l’article de Polynésie la 1ère avant de poursuivre ici, car cet article est le point de départ pour notre analyse.

Il y a ce silence pesant, ce malaise diffus qu’on ressent quand le sujet de l’argent arrive sur la table. En Polynésie, on parle de tout avec aisance : la météo, la politique, la famille, le sport… Mais dès qu’il s’agit de finances, les conversations deviennent vagues, gênées. Pourtant, c’est un problème qui ronge le pays, un poison qui coule dans les veines de l’économie locale sans que personne n’ose réellement l’affronter.

Le surendettement est partout. Dans les familles qui jonglent avec les dettes, dans les foyers où l’on évite d’ouvrir les lettres de la banque, dans les nuits blanches passées à calculer comment tenir jusqu’au prochain salaire. Il n’est pas réservé aux irresponsables, comme on voudrait le faire croire. Il touche les travailleurs, les mères célibataires, les jeunes, les retraités. Il est devenu une condition normale de l’existence, un passage presque inévitable pour survivre dans un système où tout coûte trop cher et où les salaires sont une blague.

Les banques prêtent, les magasins vendent à crédit, et les gens signent, parce qu’ils n’ont jamais appris à faire autrement. Pas parce qu’ils sont naïfs, mais parce que personne ne leur a donné les armes pour comprendre ce qu’ils faisaient. L’éducation financière est inexistante, remplacée par une culture du « achète maintenant, paie plus tard » qui transforme les rêves en cauchemars.

Dans cette analyse, aucun filtre ne sera posé. Il est temps de regarder la vérité en face : le surendettement n’est pas un problème individuel, c’est une faillite collective. Ce système ne fonctionne pas. Il est conçu pour que les riches s’enrichissent et que les pauvres s’enlisent. Tant que la Polynésie restera piégée dans cette illusion de progrès basé sur la consommation à crédit, elle continuera à sombrer.

Alors, comment en est-on arrivé là ? Qui tire les ficelles ? Pourquoi les solutions proposées ne servent qu’à calmer temporairement le feu sans jamais l’éteindre ? Et surtout, comment briser ce cercle vicieux avant qu’il ne soit trop tard ?

Les réponses sont là. Il suffit d’avoir le courage de les regarder en face.

Un peuple qui signe sans savoir

Le stylo glisse sur le papier, une signature nette, rapide, presque automatique. En face, un sourire rassurant, un document rempli de chiffres et de clauses écrites trop petit pour être réellement lu. La scène se répète chaque jour, dans les agences bancaires, les concessions automobiles, les magasins d’électroménager, les boutiques de téléphonie mobile. C’est un rituel silencieux, un passage obligé. Pourtant, à cet instant précis, sans même le réaliser, une chaîne invisible se referme.

Les Polynésiens signent. Ils signent beaucoup. Des crédits pour une voiture, pour un téléphone, pour un frigo, pour une machine à laver, pour des choses essentielles ou futiles. Ils signent parce que tout semble simple. Quelques chiffres, une mensualité abordable, la promesse d’un confort immédiat. Ce qui est inscrit en bas de page n’a aucune importance. Le calcul est rapide : « Si la banque dit que c’est bon, c’est que ça passe. »

C’est là que tout commence.


Pourquoi le polynésien « se fait avoir »

Les chiffres sont froids, précis, implacables. Pourtant, ici, personne ne les comprend vraiment. Pas parce que les Polynésiens sont moins intelligents, mais parce qu’on ne leur a jamais appris à les lire. La finance, c’est un langage qu’ils ne parlent pas. Un code réservé aux banquiers, aux comptables, aux experts. Dans les écoles, pas un mot sur le crédit, pas une leçon sur les taux d’intérêt, pas un exercice sur la gestion d’un budget familial. Pendant des années, on enseigne les dates de l’Histoire de France, les fonctions mathématiques abstraites, les règles de grammaire compliquées, mais pas comment fonctionne un prêt bancaire.

Alors, quand vient le moment de prendre une décision financière, tout repose sur la confiance. Les Polynésiens croient ce qu’on leur dit. Ils ne posent pas de questions. Ils acceptent les conditions, parce que personne ne leur a jamais dit qu’un taux d’intérêt de 20 % pouvait être un piège. Parce que personne ne leur a montré comment calculer ce qu’ils allaient réellement payer à la fin.

Les vendeurs, eux, le savent très bien.


Un système conçu pour que les gens s’endettent

Les banques et les magasins ne prêtent pas par gentillesse. Derrière chaque crédit accordé, il y a un objectif clair : faire de l’argent. Pas un peu. Beaucoup. Un crédit, ce n’est pas un service, c’est un produit qui rapporte gros. Et pour que ça fonctionne, il faut que les gens s’endettent.

Tout est pensé pour que la tentation soit irrésistible. Les voitures neuves sont mises en avant, brillantes sous les projecteurs des concessions. Dans les magasins, les téléviseurs géants diffusent des images parfaites. À côté, une petite affiche : « Seulement 8 000 F par mois ! » Le piège est là. Le chiffre semble dérisoire. Personne ne regarde le coût total.

Les vendeurs sont formés pour appuyer là où il faut. « Vous pouvez vous le permettre », « C’est une petite somme », « C’est plus simple que d’économiser », « Regardez comme c’est pratique. » Et puis, cette phrase qui finit de convaincre : « Tout le monde le fait. »


La spirale infernale

Tout commence par un premier crédit, souvent pour quelque chose de « nécessaire ». Une voiture pour aller travailler, un téléphone pour rester joignable, un réfrigérateur parce que l’ancien a rendu l’âme. La première mensualité passe sans problème. La deuxième aussi. Tout semble sous contrôle.

Puis vient un imprévu. Une dépense inattendue. Un accident, une panne, un problème de santé, une perte d’emploi. L’équilibre fragile vacille. Une nouvelle dette s’ajoute pour compenser. Un autre crédit, cette fois un peu plus difficile à rembourser. Les fins de mois deviennent plus tendues. Un retard de paiement, des frais supplémentaires.

Ceux qui ont encore un peu de chance demandent de l’aide à la famille. Mais même cette solution a ses limites. Alors, certains repoussent l’inévitable en contractant un nouveau prêt pour rembourser l’ancien. Le piège se referme. L’argent ne circule plus, il s’évapore.

Jusqu’au jour où plus rien ne rentre, où tout est bloqué. Les banques ferment les portes, les créanciers appellent sans relâche. L’angoisse s’installe.

Et là, seulement à ce moment-là, on découvre le mot « surendettement ».


La honte comme dernier verrou

Le plus grand poison du surendettement, ce n’est pas seulement la dette. C’est la honte.

En Polynésie, l’argent est un sujet tabou. Tout le monde parle de ceux qui réussissent, jamais de ceux qui échouent. Un homme qui roule en voiture neuve est envié, même si personne ne sait qu’il est endetté jusqu’au cou. Une femme qui s’habille bien est admirée, même si elle ne sait plus comment payer son loyer. On sauve les apparences, coûte que coûte.

Alors, quand une famille n’arrive plus à suivre, elle se tait. Elle se cache. Elle évite les appels, elle ne répond plus aux messages. Les dettes s’accumulent, mais l’aveu est plus douloureux que la somme due.

Ce silence arrange bien ceux qui profitent du système. Tant que les victimes se sentent coupables, elles ne dénoncent rien. Elles se battent seules, elles s’épuisent, elles finissent par accepter l’inacceptable.


Une société programmée pour fabriquer des pauvres

Le surendettement n’est pas une fatalité. C’est une construction.

Il suffit de regarder les règles du jeu pour comprendre. Les salaires n’augmentent pas, mais les prix explosent. Une baguette qui coûtait 30 F il y a quelques années en vaut maintenant 80. Un loyer dépasse souvent la moitié d’un revenu. Le coût de l’électricité, du gaz, de l’essence, tout monte, sauf les revenus.

Dans un monde normal, ceux qui travaillent devraient pouvoir vivre décemment. Ici, ce n’est pas le cas. Le travail ne protège plus de la pauvreté. On bosse, on s’épuise, et pourtant on ne s’en sort pas. Pire encore, ceux qui essaient d’économiser se font traiter d’égoïstes.

Les banques continuent de prêter, les vendeurs continuent de convaincre, et les dettes continuent de s’accumuler. Le piège est parfait : tant que les gens doivent de l’argent, ils restent sous contrôle.

Et tant qu’ils restent sous contrôle, rien ne change.


Pourquoi les solutions proposées ne marchent pas

Il existe une commission de surendettement, des plans d’aide, des solutions prétendument mises en place pour « sauver » ceux qui coulent sous les dettes. Mais dans les faits, ces dispositifs ressemblent davantage à un pansement posé sur une jambe brisée qu’à une véritable solution.

La première barrière, c’est l’accès. Beaucoup de Polynésiens ne savent même pas qu’un tel recours existe. Les administrations ne font rien pour les informer. Pas d’affiches, pas de campagnes de sensibilisation, pas d’effort pour toucher les plus précaires. Ceux qui découvrent enfin qu’ils peuvent demander de l’aide tombent sur un autre obstacle : la complexité administrative. Des dossiers à remplir, des documents à fournir, des justificatifs à aller chercher un peu partout. Et ceux qui sont déjà au fond du trou n’ont souvent ni le temps, ni l’énergie, ni les moyens de suivre ces démarches.

Ensuite, il y a ceux qui réussissent à franchir ce parcours du combattant. Une fois le dossier accepté, il y a une illusion de répit. Certaines dettes sont effacées, d’autres rééchelonnées. Sur le papier, ça a l’air d’une victoire. Mais dans la réalité, ce n’est qu’un redémarrage à zéro… sans aucune leçon apprise, sans aucun changement de structure économique.

L’endettement n’est pas un accident personnel. Il est systémique. Tant que les salaires restent ridiculement bas, que la vie coûte un bras et que les banques continuent de pousser les crédits faciles, les mêmes erreurs se répéteront.


Briser le cycle

Pour mettre fin à ce désastre, il faudrait un électrochoc. Il faudrait commencer par dire les choses telles qu’elles sont : la Polynésie est dans un état de pauvreté organisé.

Les familles ne devraient pas avoir à choisir entre payer leur loyer ou manger. Les travailleurs ne devraient pas vivre sous pression permanente, calculant chaque dépense à la centaine de francs près. Il faudrait que l’argent cesse d’être un sujet tabou, que les jeunes apprennent à gérer leur budget dès l’école, que les adultes puissent dire « je suis en difficulté » sans avoir honte.

Mais tout cela n’arrivera pas par magie. Pour briser le cycle, il faut du courage politique. Qui ose aujourd’hui s’attaquer aux banques qui s’engraissent sur le dos des plus pauvres ? Qui ose exiger des salaires décents ? Qui ose dénoncer le système des crédits toxiques qui transforment la misère en business ?

Briser le cycle, c’est aussi apprendre à dire non. Dire non aux offres trop belles pour être vraies. Dire non aux vendeurs de rêve qui ne se soucient pas des conséquences. Dire non à cette habitude de vivre au-dessus de ses moyens sous prétexte que « tout le monde fait pareil ».

Tant que personne ne dira non, le système continuera à écraser ceux qui ne savent pas se défendre.


Les vrais coupables

Ceux qui sont surendettés, ceux qui se battent chaque mois pour tenir, ce ne sont pas des irresponsables. Ce ne sont pas des gens qui ont mal géré leur vie. Ce sont les victimes d’un système pensé pour les garder sous contrôle.

Ceux qui profitent de cette misère ne sont jamais ceux qu’on accuse. Ce ne sont pas les familles qui n’arrivent plus à payer leur loyer. Ce ne sont pas les travailleurs qui prennent un crédit parce qu’ils n’ont pas d’autre solution. Les vrais coupables, ce sont les banques, les politiciens inactifs, les institutions financières, les grandes enseignes qui vivent du crédit.

Pendant que des familles pleurent à cause d’un compte à découvert, ces entreprises affichent des bénéfices records. Pendant que les gens comptent chaque franc, les prêteurs, eux, vivent sans jamais avoir à regarder leur compte en banque.

Ils savent très bien ce qu’ils font. Ils connaissent les conséquences de leurs politiques. Ils ont conscience que leurs prêts sont des pièges. Mais ils continuent, parce que tant que les gens acceptent de jouer selon leurs règles, ils restent gagnants.


Sortir du cauchemar

Le surendettement n’est pas une fatalité. C’est un piège soigneusement entretenu.

Rien ne changera tant que la société continuera à fermer les yeux. Tant que parler d’argent restera un tabou. Tant que les gens n’apprendront pas à lire un contrat de crédit comme s’ils lisaient un piège mortel. Tant que les politiciens laisseront les banques dicter les règles.

La Polynésie ne pourra s’en sortir que si arrête de faire les autruches. Si tout le monde (les médias en premier) commençaient à sensibiliser, éduquer sur les risques liés aux prêts l’argent, surtout les crédits à la consommation qui enregistre des taux élevés avec des achats forcément à perte (contrairement aux prêts immobilier où votre bien peut potentiellement prendre de la valeur avec les années).

Concernant les « victimes » (comprenez les personnes sans le bagage d’éducation financière), commencez à questionner, à comprendre ce que dit chaque contrat, faites appel à un ami capable de combler vos lacune, n’hésitez pas à refuser en cas de doute, et exigez des comptes.

Les solutions existent, mais elles ne viendront jamais d’en haut. Elles viendront des gens eux-mêmes.

Ceux qui n’ont plus rien à perdre sont ceux qui ont le plus de pouvoir pour renverser la table.

Pour ceux qui sont déjà dans le gouffre, toute la procédure pour déposer un dossier de surendettement est visible sur le site de l’IEOM.

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